Kan ha diskan
L’accompagnement instrumental d’apparition tardive en haute Cornouaille (sa rareté lui conférant prestige) n’a pas empêché le développement des danses et de techniques avancées pour l’accompagner : on parle du « kan ha diskan », véritable institution paysanne que cette discipline, avec ses talents reconnus, ces modes, ses airs, ses effigies, certaines pour leurs qualités vocales et leur esthétique bien sûr, mais tout ne se joue pas à ce niveau. On parle ici d’une discipline beaucoup plus subtile qui demande une grande maîtrise et un grand art pour avant tout pouvoir "mettre les gens à danser".
Longtemps snobé voire interdit par le clergé, et pour cause, le kan ha diskan ressemblait surtout à une survivance du paganisme , c’est en tout cas le regard que semblaient porter les prêtres sur ces rassemblements où l’on danse en rond, sur des mélodies profanes au relents incantatoires rythmées par les martèlements de pieds au sol et autres battements de mains dans des ambiances effrénées proches de l’hystérie collective ou de la transe. Il suffit de lire certaines notes d’Anatole Le Braz lors de ses collectages pour se rendre compte que ces rencontres devait représenter un exutoire. Les origines de ces pratiques semblent là aussi très anciennes :
« On ne voit pas qu’il puisse être question d’autre chose que d’elle {la danse chantée en rond} dans les textes, échelonnés du VIéme au Xéme siècle, où nous trouvons les plus anciennes mentions de danse de notre histoire »
Rondes, branles, caroles : Le chant dans la danse; Jean-Michel Guilcher, Brest, 2003
Peut-être plus pragmatique, l’église avait bien compris que les chants à danser étaient aussi l’occasion pour leurs auteurs de libérer la parole dans une société très codifiée par le discours religieux. Des textes de Kan ha Diskan tels « ar butun » ne devaient pas être du goût de tous :
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Le principe est le suivant : un premier chanteur (kaner) entame un texte sur une mélodie connue et définie à l’avance avec son partenaire , le diskaner :le déchanteur (et non l’enchanteur comme déjà entendu…). Ce dernier va superposer sa voix sur les dernières syllabes du texte, à l’unisson suivant la technique du tuilage pour reprendre à son tour la phrase entière. Le modèle se répète jusqu’à la fin : au tour du kaner de reprendre les dernière notes de la phrases pour repartir sur une nouvelle phrase sur le même motif mélodique. Bien des subtilités entreront en ligne de compte pour différencier l’expert du néophyte : l’ornementation, la variation mélodique, variation et renforcement du son, tenu du rythme, capacité à intégrer le rythme inhérent à chaque mot à la ligne rythmique d’une phrase, et donc intégrer des variations rythmiques tout en restant dans la mesure… Bref, pour faire court : il faut que ça groove !
Si cette pratique reste facilement déconsidérée du grand nombre (un « refoule public » m’a une fois confié un jeune chanteur), n’oublions pas avant de rendre verdict que d’une part : beaucoup d’entres nous n’avons plus l’oreille pour apprécier la subtilité mélodique (chez les anciens, les mélodies s’appuyaient sur des gammes non tempérées, c’est à dire qu’on fait appel au quart de ton; ou du moins à des intervalles de notes comprises entre deux demis ton : il faut savoir placer une note à l’oreille entre un do et un do# par exemple), d’autre part nous avons majoritairement perdu en Basse-Bretagne la compréhension et donc la subtilité de la langue qui permettait d’apprécier les textes.
Déroulé d’un chant:
-Les deux acolytes vont décider d’un texte, poème, puisé dans le répertoire collectif. Une fois convenu, il vont procéder de même pour la mélodie. La seule exigence pour la mélodie étant de correspondre à la danse à mener (un air de plinn, n’est pas un air de ficelle ou de gavotte… « quoique !»diront certains …
-S’avançant sur l’air à danser, il vont inviter les danseurs à leur suite en usant d’un prélude, une mise au point du ton sur un rythme lent et improvisé (le fameux tralalaleno) aux nombreuses variations. S’y greffera un début de texte suivant l’inspiration du kaner et la qualité d’écoute de l’assemblée. Ce prélude peut durer le temps nécessaire à stimuler la motivation des danseurs pour intégrer la danse.
-la danse à proprement parlée :après une interruption par un couplet sans parole s’il y a eu prologue les chanteurs débitent le texte au rythme idéal pour la danse et de manière plus vive, à ce moment la chaîne de danse se referme.
-Le kaner peut ou non avoir une phrase personnelle de fin de chanson, souvent savoureuse avant de reprendre un dernier couplet sans paroles :
Si cette pratique reste facilement déconsidérée du grand nombre (un « refoule public » m’a une fois confié un jeune chanteur), n’oublions pas avant de rendre verdict que d’une part : beaucoup d’entres nous n’avons plus l’oreille pour apprécier la subtilité mélodique (chez les anciens, les mélodies s’appuyaient sur des gammes non tempérées, c’est à dire qu’on fait appel au quart de ton; ou du moins à des intervalles de notes comprises entre deux demis ton : il faut savoir placer une note à l’oreille entre un do et un do# par exemple), d’autre part nous avons majoritairement perdu en Basse-Bretagne la compréhension et donc la subtilité de la langue qui permettait d’apprécier les textes.
Déroulé d’un chant:
-Les deux acolytes vont décider d’un texte, poème, puisé dans le répertoire collectif. Une fois convenu, il vont procéder de même pour la mélodie. La seule exigence pour la mélodie étant de correspondre à la danse à mener (un air de plinn, n’est pas un air de ficelle ou de gavotte… « quoique !»diront certains …
-S’avançant sur l’air à danser, il vont inviter les danseurs à leur suite en usant d’un prélude, une mise au point du ton sur un rythme lent et improvisé (le fameux tralalaleno) aux nombreuses variations. S’y greffera un début de texte suivant l’inspiration du kaner et la qualité d’écoute de l’assemblée. Ce prélude peut durer le temps nécessaire à stimuler la motivation des danseurs pour intégrer la danse.
-la danse à proprement parlée :après une interruption par un couplet sans parole s’il y a eu prologue les chanteurs débitent le texte au rythme idéal pour la danse et de manière plus vive, à ce moment la chaîne de danse se referme.
-Le kaner peut ou non avoir une phrase personnelle de fin de chanson, souvent savoureuse avant de reprendre un dernier couplet sans paroles :
« Trawac’h meus kanet evit ar pezh mo kar ar merc’hed a zo amañ zo toull o godellow»
(J’ai chanté assez pour le profit que j’en aurai, car les filles qui sont ici ont les poches percées)
Exemple de phrase personnelle avant cloture
Un appel à 1mn 05c sur une gavotte (prélude sans texte)
Tout les collecteurs et leurs informateurs s’accordent à dire l’importance que revêtait le chant dans la vie quotidienne, en particulier avant la première guerre mondiale :
« Le chant gardait en ces régions une vie vraiment extraordinaire, plus intense semble-t’il qu’en la plupart des pays de France lors des grandes collectes folkloriques de la fin du XIXème siècle. Dès l’aube, les dialogues chantés s’engageaient, parfois à des kilomètres de distance, entre les paysans, qui chacun dans son pré, fauchait le fourrage du bétail. Au long du jour, tout travail et tout loisir qui permettait le chant lui faisaient place. Ainsi jusqu’au soir, où les ménagères, sans quitter l’âtre, savaient quel attelage rentrait du dehors à la chanson des conducteurs. « en ce temps là, disait l’un de nos informateurs, dès qu’on se trouvait deux sur la route, on se mettait à chanter. »
Yves Defrance, Le kan ha diskan. À propos d’une technique vocale en Basse-Bretagne
A savoir aussi que la pratique s’est même étendue à des localités de langue française, l’aire de chant ayant régressé progressivement avec l’influence grandissante des villes.
Nous sommes aujourd’hui loin de ces temps bénis pour le chant, il ne faut toutefois pas prendre la mesure du cercueil trop tôt car le kan ha diskan reste bien vivant et même si la pratique est plus intime et isolée, des générations de (très) bon chanteurs continuent à se succéder.
Tout les collecteurs et leurs informateurs s’accordent à dire l’importance que revêtait le chant dans la vie quotidienne, en particulier avant la première guerre mondiale :
« Le chant gardait en ces régions une vie vraiment extraordinaire, plus intense semble-t’il qu’en la plupart des pays de France lors des grandes collectes folkloriques de la fin du XIXème siècle. Dès l’aube, les dialogues chantés s’engageaient, parfois à des kilomètres de distance, entre les paysans, qui chacun dans son pré, fauchait le fourrage du bétail. Au long du jour, tout travail et tout loisir qui permettait le chant lui faisaient place. Ainsi jusqu’au soir, où les ménagères, sans quitter l’âtre, savaient quel attelage rentrait du dehors à la chanson des conducteurs. « en ce temps là, disait l’un de nos informateurs, dès qu’on se trouvait deux sur la route, on se mettait à chanter. »
Yves Defrance, Le kan ha diskan. À propos d’une technique vocale en Basse-Bretagne
A savoir aussi que la pratique s’est même étendue à des localités de langue française, l’aire de chant ayant régressé progressivement avec l’influence grandissante des villes.
Nous sommes aujourd’hui loin de ces temps bénis pour le chant, il ne faut toutefois pas prendre la mesure du cercueil trop tôt car le kan ha diskan reste bien vivant et même si la pratique est plus intime et isolée, des générations de (très) bon chanteurs continuent à se succéder.
Un livre indispensable :
Jean-Michel Guilcher : Rondes, branles, paroles - le chant dans la danse
"Le kan ha diskan. À propos d’une technique vocale en Basse-Bretagne ":
https://ethnomusicologie.revues.org/1582
Jean-Michel Guilcher : Rondes, branles, paroles - le chant dans la danse
"Le kan ha diskan. À propos d’une technique vocale en Basse-Bretagne ":
https://ethnomusicologie.revues.org/1582