Ce texte a été rédigé par Jean-Yves Plourin qui opère ici une correspondance entre les cantiques collectés et présentés dans le livre "Mémoires du pays Fañch" et les origines historiques et linguistiques du pays.
Piw eo sant Vaeg ?
Qui est saint Mayeux ?
Par Jean-Yves Plourin
Quel lien peut-il y avoir entre des cantiques, même bretons, et l'Histoire. Il est certain que les cantiques, omniprésents, connus de tous en Basse-Bretagne pendant des siècles, ont presque disparu de la vie quotidienne en deux générations. N'étant guère sollicités non plus par nos historiens et linguistes, lesquels semblent avoir d'autres chroniques à fouetter, les « kantikoù », du genre de ceux que Marc-Antoine Ollivier a eu la bonne idée d'inclure dans le présent mémoire (à tous les sens du terme), finissent donc de sombrer dans l'oubli, et c'est sans doute bien dommage.
Ces kantikoù sont souvent de (très) bonne facture du point de vue de la langue bretonne, et c'est clairement le cas pour au moins deux textes intégrés aux mémoires du pays Fañch, extraits d'un fascicule intitulé Kantikoù sant Vek, daté de 1890, consacré aux cantiques qui étaient à l'honneur naguère encore à Saint-Mayeux. Pour commencer, étant donné la situation du breton en général en 2017, certains se demandent peut-être quel peut bien être le lien entre saint Mayeux et sant Vaeg (sant Vek) ? Parle-t-on du même personnage ? La réponse est oui, sans hésitation possible. L'éponyme de la paroisse, et patron de l'église, nous dit Bernard Tanguy 1 à partir de formes datées du XIIIème au XVIème siècle, est Maeoc. Or, une règle, plus idiomatique que vraiment grammaticale, des mutations consonantiques, veut que les noms propres commençant par m- ou gw-, subissent éventuellement la lénition après le mot sant. Et donc, Maeoc devient sant Vaeoc. On a de même Maode(z), sant Vaode(z), à Duault par exemple.
Il faudrait donc avoir des notions de phonologie diachronique, et pourquoi pas aussi d'onomastique brittonique, pour parler de saints bretons et donc de noms de lieux de la région ? Quelques intrépides ont bien tenté, et tentent encore trop souvent, de se passer du minimum de rigueur et de respect requis, mais leurs « trouvailles » ont la plupart du temps de quoi faire sourire, ou frémir, selon l'humeur. Il est ainsi tout à fait improbable que Corlay puisse s'analyser en corr- (korr-), nain, + les, manoir, comme le prétend une rumeur, hélas persistante. Pourquoi ? En premier lieu, on discerne mal le sens que pourrait avoir le composé. Mais surtout parce que les formes ou leçons anciennes, lesquelles sont à rechercher avant d'oser émettre une interprétation, donnent : Corle, sans consonne finale, en 1184, 1221, 1235, 1246, 1276, 1309, 1318, 1330, 1368, etc. Dans le domaine, abondance de biens ne nuit pas ; il faut, par contre, se méfier lorsque le nombre de formes est trop limité, ou qu'elles proviennent de documents irrecevables. Il existe plusieurs lexèmes les/lis en vieux-breton (langue antérieure au XIIème siècle), de sens différents 2 ; deux ont survécu jusqu'à nos jours, sans perdre le -s final, toujours bien audible. Si Corle a été prononcé et écrit pendant 700 à 800 ans sans consonne spirante finale, il semble impossible que cette consonne apparaisse tout d'un coup, comme par génération spontanée. Il reste donc à considérer diverses solutions phonétiquement tolérables pour explique ce toponyme. Il est probable que l'on soit en présence d'une variante de corlan, bien attesté en gallois au sens d'enclos. L'archéologie ne contredit pas cette hypothèse, puisque Corlay est en premier lieu l'emplacement d'une enceinte fortifiée, ancrage guerrier d'une « paroisse primitive », paroisse fondée entre le Vème et le VIIIème siècle. Le vieux-breton/vieux-gallois cor ayant plusieurs sens 3, outre celui de troupe, armée, d'autres acceptions ne sont pas à exclure. De plus, dans corle/corlan, la première syllabe peut cacher un mot cordd, tribu, clan 4, ce qui ferait de Corlay le lieu, le fort de la tribu, ce qui, de tout façon, ne change pas grand chose au sens général.
“ Il est probable que l'on soit en présence d'une variante de corlan, bien attesté en gallois au sens d'enclos. L'archéologie ne contredit pas cette hypothèse, puisque Corlay est en premier lieu l'emplacement d'une enceinte fortifiée, ancrage guerrier d'une « paroisse primitive », paroisse fondée entre le Vème et le VIIIème siècle. ”
Mais revenons à Maeoc. Bien que « très largement attesté dans les noms de lieux, où il est éponyme de Guimaec et de Tréméoc, ce saint n'en demeure pas moins à peu près inconnu 5 » nous dit Bernard Tanguy, dont on apprécie la prudence. Il ajoute que le nom peut « recouvrir plusieurs saints6 », ce qui n'en ferait pas un cas unique, tant s'en faut. Nous nous contenterons donc ici d'essayer de préciser qui pourrait être le Maeoc de cette pointe orientale de la Haute-Cornouaille.
Et pour ce faire, on se rappellera les réflexions de Joseph Loth et de G.H.Doble. Ce dernier, spécialiste des saints brittoniques, constatant qu'Iltud et Tudual se suivent de près dans le paysage (comme entre Ploerdut et Saint-Tugdual, en pays Pourlet) dit : « The association of the cult of two (or more) saints together is one of the most characteristic features of Celtic hagiography 7 », soit : un des traits les plus caractéristiques de l'hagiographie celtique est d'associer le culte de deux saints, ou de plus de deux saints. Et Joseph Loth, dans une note à propos d'Elliant (Finistère) et de Llan-Elian (Denbighshire), ouvrait déjà la voie il y a quelque cent trente ans : « Il est remarquable qu'on trouve encore dans le même comté, Llangollen et une rivière Twrch, tandis qu'on trouve réunies près de Quimper, les trois communes d'Elliant, Langollen (sic) et Tourc'h 8 ». Nous ajouterons, pour faire bonne mesure, que la commune d'Edern, qui jouxte Langolen, rappelle le cantref (royaume subalterne) d'Edeyrnion, voisin immédiat de...Llangollen. Par ailleurs, ce territoire appartient, en gros du Vème au XIIIème siècle, au royaume de Powys, quartier occidental de la Cornubia pré-romaine, Cornubia à laquelle les Cornouailles britanniques et notre Cornouaille armorique doivent leur fondation et leur nom. Il n'est donc pas dépourvu d'intérêt de relever dans le « Kantik sant Vaeg », que le saint fondateur de Saint-Mayeux, par sa piété et son zèle missionnaire, fait de ses ouailles « le meilleur peuple de toute la Cornouaille ». On se trouve pourtant à plus de cent kilomètres de Quimper, mais l'auteur du cantique connaît son Histoire de Bretagne, et tient à rappeler au bon peuple en question où sont ses origines.
“ Il est remarquable qu'on trouve encore dans le même comté, Llangollen et une rivière Twrch, tandis qu'on trouve réunies près de Quimper, les trois communes d'Elliant, Langollen (sic) et Tourc'h ”
Appliquons donc à saint Mayeux/sant Vaeg ce principe de « localisation» selon Joseph Loth. L'autre cantique, dont on trouvera ici des extraits, est le « Kantik sant Veltas », cantique à saint Gildas/Gweltas. Or, la paroisse de Saint-Mayeux n'est pas très éloignée de Saint-Gildas (Saint Gueltas encore en 1597), aujourd'hui dans le canton de Quintin, mais autrefois trève de l'immense paroisse primitive de Pligeaux (Pleiau, 1190), dont l'église paroissiale se trouvait à Saint-Gilles. Au lieu de l'hypothétique *Itiau, que suppose sans conviction Bernard Tanguy, nous proposons comme éponyme de Pligeaux et de Saint-Ygeaux, saint Iddew, ou Iddog 9, parfois considéré comme étant l'un des trois saints de Llantrisant (monastère des « trois saints »), non loin de Llandochau, près Cardiff. Mais saint Gildas renvoie surtout à Laniscat, puisqu'il est patron de cette paroisse limitrophe de Saint-Mayeux vers l'ouest, paroisse où l'on découvre la chapelle de Saint-Gildas, dûment complétée d'une fontaine dédiée au même saint. Saint Gildas est le Gildas ap Caw de la tradition, remarquable rejeton d'une des « Trois lignées de Saints de l'Ile de Bretagne 10», fils du roi de Stratclut, royaume brittonique qui perdure jusqu'au 1Xème siècle au sud-ouest de l'Ecosse actuelle. Le cantique nous le dépeint, étudiant avec humilité et ardeur sous la férule du grand saint Iltud. Déjà mentionné plus haut pour ses liens fréquents avec Tudual dans la toponymie bretonne, Iltud (ou Heltutus, Eltutus) « est souvent décrit dans les Vies les plus anciennes comme un grand maître à l'autorité reconnue 11. Le monastère qu'il fonde : Llanilltud Fawr (Lantwit Major) est qualifié d' « axis of christianity of the Celtic-speaking peoples », soit : pivot de chrétienté des peuples de langue celtique, par l'historien gallois John Davies 12. Mais surtout, la triade monastique que Llanilltud Fawr forme avec Llancarfan, fondé par saint Cadoc, et Llandochau, fondé par saint Dochwyn, à quelques kilomètres l'un de l'autre au sud du royaume de Glamorgan, a largement contribué à l'encadrement des migrations vers l'Armorique, et particulièrement vers la Cornouaille. La Haute-Cornouaille orientale, qui nous occupe ici, ne fait pas exception à la règle, puisque saint Sulien, ancien patron de l'église de Plussulien (Ploeu Sulian en 1161) est, soit Sulien 13, abbé de Llancarfan, soit Sulien, son contemporain et homonyme, abbé de Lladochau, soit encore Sulien, compagnon de Cadfan et de Mael (ce dernier est l'éponyme de Mael-Pestivien, qui est simplement Mael dans les documents jusqu'au XVIème siècle). Quant à Dochwyn, alias Dochau, Doha, Docco, il laisse son nom à Botoha (de Bot-Doha), paroisse primitive très étendue, devenue, grosso modo, le canton de Saint-Nicolas-du-Pelem, dont Bernard Tanguy dit : « L'histoire de Saint-Nicolas-du-Pelem est d'abord celle de Bothoa, aujourd'hui simple village de la commune, mais qui fut jadis le chef-lieu d'une des plus vastes paroisses du diocèse de Cornouaille 14».
“ la triade monastique que Llanilltud Fawr forme avec Llancarfan, fondé par saint Cadoc, et Llandochau, fondé par saint Dochwyn, à quelques kilomètres l'un de l'autre au sud du royaume de Glamorgan, a largement contribué à l'encadrement des migrations vers l'Armorique, et particulièrement vers la Cornouaille. ”
On remarque, toujours dans le canton actuel de Saint-Nicolas-du-Pelem, la présence de Conan/Cynan à Saint-Connan, commune qui jouxte Saint-Gildas (canton de Quintin). Or, Conan figure parmi les disciples de saint Cadfan, en compagnie de Mael et de Sulien, entre autres, dans le « Bonedd y Saint » (généalogie des saints) 15. Signalons également, un peu au sud de Saint-Mayeux cette fois, un autre « diptyque », celui que forment Saint-Connec et Saint-Caradec, puisque, nous dit Bernard Tanguy, Connec est disciple de Caradec 16. Connec, de son nom gallois Cynan ap Brychan, est donc fils du roi Brychan, et appartient à l'une des trois Lignées de Saints mentionnées plus haut. Il vient aussi à point nommé pour nous servir de transition vers l'autre grande région monastique, pourvoyeuse de saints pélerins et migrants, les royaumes de Brycheiniog et de Dyfed, qui sont liés, notamment du fait d'influences irlandaises communes (longue période de bilinguisme gaélique-gallois, dynasties régnantes originaires du Leinster et de l'est du Munster 17,etc.).
Or le Dyfed est le berceau de saint David (Dewi), fils du roi Sant (ou Sandde), et fondateur du monastère de la pointe de la Ménévie (Mynyw) qui porte son nom : Saint David's (Tyddewi). David est devenu le patron du Pays de Galles, ce qui ne l'empêche pas d'avoir laissé des traces en Bretagne Armorique. L'une d'elles est Lotavy en Saint-Guen (canton de Mûr), commune toute proche de Saint-Mayeux, et, de notre point de vue, ce n'est pas une coïncidence. Comme Lotavy en Priziac (Morbihan), la forme ancienne est Loc-David, Loctavy étant une forme intermédiaire 18. Différentes sources parlent des « trois fidèles disciples » de saint David 19, c'est-à-dire : Aeddan, Eliud et Ysfael. Le second, Eliud ab Ensych, plus connu par son hypocoristique : Teilo (formé sur To-El-iau) possède à Landeleau (Finistère) son église (officiellement saint Théleau), sa fontaine, son oratoire, son sarcophage, et sa troménie de quinze kilomètres à la Pentecôte. Ce serait beaucoup pour un saint obscur, ce qu'il n'est pas, car Eliud est le patron d'une trentaine d'églises (quinze rien qu'en Dyfed) au sud du Pays de Galles et jusque dans d'anciens territoires aujourd'hui inclus dans le comté anglais de Herefordshire. Il est aussi présent dans les Côtes d'Armor à Plédéliac (Pledeliau, en 1219 et 1234), et, le plus important pour notre propos, à Saint-Thélo, tout près de Saint-Mayeux. En outre, Teilo est lié à la famille de Cornouaille, puisqu'il était le beau-frère du roi Budic, lequel avait épousé sa sœur Anawfedd (Anauued).
Enfin, « last but not least », Aeddan, autre fidèle de David, est aussi connu sous le nom de Maeddog, à la galloise, ou Aidan, Maodhog (Mo-Aid-oc20), à la gaélique, quand ce n'est pas Moedhog, graphie intermédiaire, qui traduit mieux la prononciation. Si l'on ajoute le fait que le -dd- gallois, ou le -dh- gaélique, sont amuïs depuis très longtemps 21, il ne fait guère de doute que Maeddog et Maeoc (sant Vaeg) désignent une seule et même personne. Quelques « détails » supplémentaires peuvent aider à finir de convaincre. Notamment que son nom « dynastique » est Aedd(an) ab Gildas, ce Gildas étant le grand saint de la lignée de Caw dont nous avons signalé la présence à Plussulien, et donc dans les cantiques chantés à Saint-Mayeux. Gildas veille donc toujours de près sur son fils comme saint Uital(is), depuis Guidel (qui porte son nom : Uidaul en vieux-breton), veille toujours sur son fils saint Gurthiern à Quimperlé (Quimperlé, ancien domaine d'Anaurot, aurait été donnée à Gurthiern par Gradlon Meur en personne).
“ Aeddan, autre fidèle de David, est aussi connu sous le nom de Maeddog, […] il ne fait guère de doute que Maeddog et Maeoc (sant Vaeg) désignent une seule et même personne ”
Enfin, même les contes apportent leur contribution à la toponymie. En effet, l'on peut encore entendre dans le terroir l'histoire du « Pardon ar gwenan » (pardon des abeilles), dans laquelle la statue d'un saint se voit malmenée par un sacristain gourmand; celui-ci subit sans doute la revanche du saint puisque les abeilles des ruches apportées par les pélerins s'en prennent à lui, l'obligeant à fuir. Or, Maeddog est représenté avec une ruche, celle qu'il emporta en Irlande pour aider le monastère qui devait le recevoir à reconstituer son cheptel d'abeilles22. On connaît l'importance du miel et de la cire dans la société celtique (aussi bien gaélique que brittonique), importance qui justifie l'existence de traités juridiques spécifiques 23. Le protagoniste du « pardon ar gwenan » est donc très probablement sant Vaeg.
Nous voici parvenus au terme de notre petite (en)quête identitaire. Nous espérons, au moins, avoir attiré l'attention sur quelques faits qui mériteraient sans doute d'être connus de tous les Bretons. En premier lieu, il est évident que noms de lieux et noms de personnes renvoient très souvent à une époque, jusqu'au X1ème-XIIème siècles, où Bretagne et Pays de Galles ne sont que des éléments du domaine brittonique, lequel s'étend de la région d'Edimbourg (Manaw Gododdin) jusqu'à l'estuaire de la Loire 24. Langue, culture politique et religieuse y sont largement identiques. Se pencher un instant sur l'onomastique bretonne, ne serait-ce que par le biais de quelques cantiques bretons quelque peu oubliés de la pointe orientale de la Cornouaille, c'est nolens volens plonger tête la première dans l'Histoire, celle des migrations bretonnes et des saints fondateurs (Vème-VIIème siècles). Et dans ce cadre le mot de la fin revient assez logiquement à Nora Chadwick : « Il resssort clairement de nos traditions que les « saints » (c'est-à-dire les hommes d'église instruits) étaient les chefs de l'immigration. Ils formaient le noyau dur de la masse des colons. Les noms de lieux et les récits traditionnels le prouvent (…) Il y a plus. Les étroites attaches entre saints et gouvernants princiers donnent à penser que l'immigration fut organisée, politique, plutôt qu'individuelle et laissée au hasard » 25.
(terminé ce 29 mars, fête de sainte Gwladus,
fille du roi Brychan, mère de saint Cadoc)
Notes
1TANGUY Bernard, Dictionnaire des noms de communes, trèves et paroisses des Côtes d'Armor, Douarnenez, Le Chasse-Marée, 1992, p. 300.
2FLEURIOT Léon, et EVANS Claude, A Dictionary of Old Breton , historical and comparative, Toronto, Prepcorp Limited, 1985, p. 505-507.
3 FLEURIOT-EVANS, op.cit, p. 422.
4Consulter sur internet, ouvert par l'Université du Pays de Galles, le site du Geiriadur Prifysgol Cymru, aux entrées : cor, cordd, cosgor, cosgordd, lle, llan, corlan.
5TANGUY Bernard, Dictionnaire des noms de communes, trèves et paroisses du Finistère, Douarnenez, Le Chasse-Marée, 1990, p. 115.
6TANGUY B., Dictionnaire Finistère, op.cit., p. 81.
7DOBLE Gilbert Hunter, Lives of the Welsh Saints, Cardiff, University of Wales Press, 1984, p. 145.
8LOTH Joseph, Chrestomathie bretonne, Paris, E.Bouillon, 1890, p. 149.
9BARTRUM Peter Clement, A Welsh Classical Dictionary, People in History and Legend up to about A.D. 1000, The National Library of Wales, 1993, p. 378.
10« Tair Gwelygordh Saint Ynys Prydain » dit le titre original de la « triade », que l'on trouvera accompagnée d'explications complètes dans l'indispensable ouvrage de BROMWICH Rachel, Trioedd Ynys Prydein, the Triads of the Island of Britain, Cardiff, University of Wales Press, 2014, p. 81. Les deux autres saintes lignées sont les Plant Brychan (les enfants du roi Brychan Brycheiniog) et les Plant Cunedda (les enfants du roi Cunedda Wledig).
11FLEURIOT Léon, Les origines de la Bretagne, Paris, Payot, 1981, p. 279.
12DAVIES John, A History of Wales, Penguin Books, 2007, p. 71.
13BARTRUM Peter, A Welsh Classical Dictionary, op.cit., p. 591-592.
14TANGUY Bernard, Dictionnaire Côtes d'Armor, op.cit., p. 303.
15Voir BARTRUM Peter Clement, Early Welsh Genealogical Tracts, Cardiff, 1966, p. 57.
16TANGUY Bernard, Dictionnaire Côtes d'Armor, op.cit., p. 277.
17A propos de l'expansion irlandaise (en particulier celles des Deisi et des Ui Liathain) vers le Gwynedd au nord du Pays de Galles, le Dyfed au sud-ouest, et le Devon-Cornwall, voir, par exemple O CROININ Dabhai, Early Medieval Ireland, 400-1200, London, Routledge, 2013, p. 18-20 et p. 52-59.
18PLOURIN Jean-Yves et HOLLOCOU Pierre, Toponymie et patrimoine linguistique, Brest, Emgleo Breiz, 204, p. 79.
19BARTRUM Peter, Dictionary, op.cit., p. 194.
20 Si une révision des hypocoristiques en TO- et en MO- s’avère nécessaire, voir : FLEURIOT Léon, Le vieux breton, éléments d’une grammaire, Paris, Klincksieck, 1964, p. 403-405.
21 De la même manière, le -d/-dd final de David/Dewy(dd) a subi l'apocope, qui est de règle historiquement en Dyfed (cf. Bartrum P., Dictionary, op.cit., p. 193). Cette apocope se pratique aussi en Bretagne armorique, et explique les Lotavy signalés plus haut, ainsi que les variantes Dewi/Divi présentes dans d'autres toponymes.
22 BARING-GOULD Sabine, FISHER John, The Lives of the British Saints, London 1907-1913, tome 1, p. 121
23O CROININ Dabhai, Early Medieval Ireland, op.cit., p. 106-107.
24CHARLES-EDWARDS Thomas Mowbray, Wales and the Britons – 350-1064, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 1 : « Wales was merely part of a larger whole, the Lands of the Britons ».
25CHADWICK Nora Kershaw, La colonisation de la Bretagne armorique depuis la Bretagne celtique insulaire, Crozon, Armeline, 1999, p. 72-73. Les éditions Armeline ont eu la bonne idée de mettre cet ouvrage à la portée du public francophone. Il parut en anglais en 1965 sous le titre : The colonization of Brittany from celtic Britain, London, Oxford University Press.
Qui est saint Mayeux ?
Par Jean-Yves Plourin
Quel lien peut-il y avoir entre des cantiques, même bretons, et l'Histoire. Il est certain que les cantiques, omniprésents, connus de tous en Basse-Bretagne pendant des siècles, ont presque disparu de la vie quotidienne en deux générations. N'étant guère sollicités non plus par nos historiens et linguistes, lesquels semblent avoir d'autres chroniques à fouetter, les « kantikoù », du genre de ceux que Marc-Antoine Ollivier a eu la bonne idée d'inclure dans le présent mémoire (à tous les sens du terme), finissent donc de sombrer dans l'oubli, et c'est sans doute bien dommage.
Ces kantikoù sont souvent de (très) bonne facture du point de vue de la langue bretonne, et c'est clairement le cas pour au moins deux textes intégrés aux mémoires du pays Fañch, extraits d'un fascicule intitulé Kantikoù sant Vek, daté de 1890, consacré aux cantiques qui étaient à l'honneur naguère encore à Saint-Mayeux. Pour commencer, étant donné la situation du breton en général en 2017, certains se demandent peut-être quel peut bien être le lien entre saint Mayeux et sant Vaeg (sant Vek) ? Parle-t-on du même personnage ? La réponse est oui, sans hésitation possible. L'éponyme de la paroisse, et patron de l'église, nous dit Bernard Tanguy 1 à partir de formes datées du XIIIème au XVIème siècle, est Maeoc. Or, une règle, plus idiomatique que vraiment grammaticale, des mutations consonantiques, veut que les noms propres commençant par m- ou gw-, subissent éventuellement la lénition après le mot sant. Et donc, Maeoc devient sant Vaeoc. On a de même Maode(z), sant Vaode(z), à Duault par exemple.
Il faudrait donc avoir des notions de phonologie diachronique, et pourquoi pas aussi d'onomastique brittonique, pour parler de saints bretons et donc de noms de lieux de la région ? Quelques intrépides ont bien tenté, et tentent encore trop souvent, de se passer du minimum de rigueur et de respect requis, mais leurs « trouvailles » ont la plupart du temps de quoi faire sourire, ou frémir, selon l'humeur. Il est ainsi tout à fait improbable que Corlay puisse s'analyser en corr- (korr-), nain, + les, manoir, comme le prétend une rumeur, hélas persistante. Pourquoi ? En premier lieu, on discerne mal le sens que pourrait avoir le composé. Mais surtout parce que les formes ou leçons anciennes, lesquelles sont à rechercher avant d'oser émettre une interprétation, donnent : Corle, sans consonne finale, en 1184, 1221, 1235, 1246, 1276, 1309, 1318, 1330, 1368, etc. Dans le domaine, abondance de biens ne nuit pas ; il faut, par contre, se méfier lorsque le nombre de formes est trop limité, ou qu'elles proviennent de documents irrecevables. Il existe plusieurs lexèmes les/lis en vieux-breton (langue antérieure au XIIème siècle), de sens différents 2 ; deux ont survécu jusqu'à nos jours, sans perdre le -s final, toujours bien audible. Si Corle a été prononcé et écrit pendant 700 à 800 ans sans consonne spirante finale, il semble impossible que cette consonne apparaisse tout d'un coup, comme par génération spontanée. Il reste donc à considérer diverses solutions phonétiquement tolérables pour explique ce toponyme. Il est probable que l'on soit en présence d'une variante de corlan, bien attesté en gallois au sens d'enclos. L'archéologie ne contredit pas cette hypothèse, puisque Corlay est en premier lieu l'emplacement d'une enceinte fortifiée, ancrage guerrier d'une « paroisse primitive », paroisse fondée entre le Vème et le VIIIème siècle. Le vieux-breton/vieux-gallois cor ayant plusieurs sens 3, outre celui de troupe, armée, d'autres acceptions ne sont pas à exclure. De plus, dans corle/corlan, la première syllabe peut cacher un mot cordd, tribu, clan 4, ce qui ferait de Corlay le lieu, le fort de la tribu, ce qui, de tout façon, ne change pas grand chose au sens général.
“ Il est probable que l'on soit en présence d'une variante de corlan, bien attesté en gallois au sens d'enclos. L'archéologie ne contredit pas cette hypothèse, puisque Corlay est en premier lieu l'emplacement d'une enceinte fortifiée, ancrage guerrier d'une « paroisse primitive », paroisse fondée entre le Vème et le VIIIème siècle. ”
Mais revenons à Maeoc. Bien que « très largement attesté dans les noms de lieux, où il est éponyme de Guimaec et de Tréméoc, ce saint n'en demeure pas moins à peu près inconnu 5 » nous dit Bernard Tanguy, dont on apprécie la prudence. Il ajoute que le nom peut « recouvrir plusieurs saints6 », ce qui n'en ferait pas un cas unique, tant s'en faut. Nous nous contenterons donc ici d'essayer de préciser qui pourrait être le Maeoc de cette pointe orientale de la Haute-Cornouaille.
Et pour ce faire, on se rappellera les réflexions de Joseph Loth et de G.H.Doble. Ce dernier, spécialiste des saints brittoniques, constatant qu'Iltud et Tudual se suivent de près dans le paysage (comme entre Ploerdut et Saint-Tugdual, en pays Pourlet) dit : « The association of the cult of two (or more) saints together is one of the most characteristic features of Celtic hagiography 7 », soit : un des traits les plus caractéristiques de l'hagiographie celtique est d'associer le culte de deux saints, ou de plus de deux saints. Et Joseph Loth, dans une note à propos d'Elliant (Finistère) et de Llan-Elian (Denbighshire), ouvrait déjà la voie il y a quelque cent trente ans : « Il est remarquable qu'on trouve encore dans le même comté, Llangollen et une rivière Twrch, tandis qu'on trouve réunies près de Quimper, les trois communes d'Elliant, Langollen (sic) et Tourc'h 8 ». Nous ajouterons, pour faire bonne mesure, que la commune d'Edern, qui jouxte Langolen, rappelle le cantref (royaume subalterne) d'Edeyrnion, voisin immédiat de...Llangollen. Par ailleurs, ce territoire appartient, en gros du Vème au XIIIème siècle, au royaume de Powys, quartier occidental de la Cornubia pré-romaine, Cornubia à laquelle les Cornouailles britanniques et notre Cornouaille armorique doivent leur fondation et leur nom. Il n'est donc pas dépourvu d'intérêt de relever dans le « Kantik sant Vaeg », que le saint fondateur de Saint-Mayeux, par sa piété et son zèle missionnaire, fait de ses ouailles « le meilleur peuple de toute la Cornouaille ». On se trouve pourtant à plus de cent kilomètres de Quimper, mais l'auteur du cantique connaît son Histoire de Bretagne, et tient à rappeler au bon peuple en question où sont ses origines.
“ Il est remarquable qu'on trouve encore dans le même comté, Llangollen et une rivière Twrch, tandis qu'on trouve réunies près de Quimper, les trois communes d'Elliant, Langollen (sic) et Tourc'h ”
Appliquons donc à saint Mayeux/sant Vaeg ce principe de « localisation» selon Joseph Loth. L'autre cantique, dont on trouvera ici des extraits, est le « Kantik sant Veltas », cantique à saint Gildas/Gweltas. Or, la paroisse de Saint-Mayeux n'est pas très éloignée de Saint-Gildas (Saint Gueltas encore en 1597), aujourd'hui dans le canton de Quintin, mais autrefois trève de l'immense paroisse primitive de Pligeaux (Pleiau, 1190), dont l'église paroissiale se trouvait à Saint-Gilles. Au lieu de l'hypothétique *Itiau, que suppose sans conviction Bernard Tanguy, nous proposons comme éponyme de Pligeaux et de Saint-Ygeaux, saint Iddew, ou Iddog 9, parfois considéré comme étant l'un des trois saints de Llantrisant (monastère des « trois saints »), non loin de Llandochau, près Cardiff. Mais saint Gildas renvoie surtout à Laniscat, puisqu'il est patron de cette paroisse limitrophe de Saint-Mayeux vers l'ouest, paroisse où l'on découvre la chapelle de Saint-Gildas, dûment complétée d'une fontaine dédiée au même saint. Saint Gildas est le Gildas ap Caw de la tradition, remarquable rejeton d'une des « Trois lignées de Saints de l'Ile de Bretagne 10», fils du roi de Stratclut, royaume brittonique qui perdure jusqu'au 1Xème siècle au sud-ouest de l'Ecosse actuelle. Le cantique nous le dépeint, étudiant avec humilité et ardeur sous la férule du grand saint Iltud. Déjà mentionné plus haut pour ses liens fréquents avec Tudual dans la toponymie bretonne, Iltud (ou Heltutus, Eltutus) « est souvent décrit dans les Vies les plus anciennes comme un grand maître à l'autorité reconnue 11. Le monastère qu'il fonde : Llanilltud Fawr (Lantwit Major) est qualifié d' « axis of christianity of the Celtic-speaking peoples », soit : pivot de chrétienté des peuples de langue celtique, par l'historien gallois John Davies 12. Mais surtout, la triade monastique que Llanilltud Fawr forme avec Llancarfan, fondé par saint Cadoc, et Llandochau, fondé par saint Dochwyn, à quelques kilomètres l'un de l'autre au sud du royaume de Glamorgan, a largement contribué à l'encadrement des migrations vers l'Armorique, et particulièrement vers la Cornouaille. La Haute-Cornouaille orientale, qui nous occupe ici, ne fait pas exception à la règle, puisque saint Sulien, ancien patron de l'église de Plussulien (Ploeu Sulian en 1161) est, soit Sulien 13, abbé de Llancarfan, soit Sulien, son contemporain et homonyme, abbé de Lladochau, soit encore Sulien, compagnon de Cadfan et de Mael (ce dernier est l'éponyme de Mael-Pestivien, qui est simplement Mael dans les documents jusqu'au XVIème siècle). Quant à Dochwyn, alias Dochau, Doha, Docco, il laisse son nom à Botoha (de Bot-Doha), paroisse primitive très étendue, devenue, grosso modo, le canton de Saint-Nicolas-du-Pelem, dont Bernard Tanguy dit : « L'histoire de Saint-Nicolas-du-Pelem est d'abord celle de Bothoa, aujourd'hui simple village de la commune, mais qui fut jadis le chef-lieu d'une des plus vastes paroisses du diocèse de Cornouaille 14».
“ la triade monastique que Llanilltud Fawr forme avec Llancarfan, fondé par saint Cadoc, et Llandochau, fondé par saint Dochwyn, à quelques kilomètres l'un de l'autre au sud du royaume de Glamorgan, a largement contribué à l'encadrement des migrations vers l'Armorique, et particulièrement vers la Cornouaille. ”
On remarque, toujours dans le canton actuel de Saint-Nicolas-du-Pelem, la présence de Conan/Cynan à Saint-Connan, commune qui jouxte Saint-Gildas (canton de Quintin). Or, Conan figure parmi les disciples de saint Cadfan, en compagnie de Mael et de Sulien, entre autres, dans le « Bonedd y Saint » (généalogie des saints) 15. Signalons également, un peu au sud de Saint-Mayeux cette fois, un autre « diptyque », celui que forment Saint-Connec et Saint-Caradec, puisque, nous dit Bernard Tanguy, Connec est disciple de Caradec 16. Connec, de son nom gallois Cynan ap Brychan, est donc fils du roi Brychan, et appartient à l'une des trois Lignées de Saints mentionnées plus haut. Il vient aussi à point nommé pour nous servir de transition vers l'autre grande région monastique, pourvoyeuse de saints pélerins et migrants, les royaumes de Brycheiniog et de Dyfed, qui sont liés, notamment du fait d'influences irlandaises communes (longue période de bilinguisme gaélique-gallois, dynasties régnantes originaires du Leinster et de l'est du Munster 17,etc.).
Or le Dyfed est le berceau de saint David (Dewi), fils du roi Sant (ou Sandde), et fondateur du monastère de la pointe de la Ménévie (Mynyw) qui porte son nom : Saint David's (Tyddewi). David est devenu le patron du Pays de Galles, ce qui ne l'empêche pas d'avoir laissé des traces en Bretagne Armorique. L'une d'elles est Lotavy en Saint-Guen (canton de Mûr), commune toute proche de Saint-Mayeux, et, de notre point de vue, ce n'est pas une coïncidence. Comme Lotavy en Priziac (Morbihan), la forme ancienne est Loc-David, Loctavy étant une forme intermédiaire 18. Différentes sources parlent des « trois fidèles disciples » de saint David 19, c'est-à-dire : Aeddan, Eliud et Ysfael. Le second, Eliud ab Ensych, plus connu par son hypocoristique : Teilo (formé sur To-El-iau) possède à Landeleau (Finistère) son église (officiellement saint Théleau), sa fontaine, son oratoire, son sarcophage, et sa troménie de quinze kilomètres à la Pentecôte. Ce serait beaucoup pour un saint obscur, ce qu'il n'est pas, car Eliud est le patron d'une trentaine d'églises (quinze rien qu'en Dyfed) au sud du Pays de Galles et jusque dans d'anciens territoires aujourd'hui inclus dans le comté anglais de Herefordshire. Il est aussi présent dans les Côtes d'Armor à Plédéliac (Pledeliau, en 1219 et 1234), et, le plus important pour notre propos, à Saint-Thélo, tout près de Saint-Mayeux. En outre, Teilo est lié à la famille de Cornouaille, puisqu'il était le beau-frère du roi Budic, lequel avait épousé sa sœur Anawfedd (Anauued).
Enfin, « last but not least », Aeddan, autre fidèle de David, est aussi connu sous le nom de Maeddog, à la galloise, ou Aidan, Maodhog (Mo-Aid-oc20), à la gaélique, quand ce n'est pas Moedhog, graphie intermédiaire, qui traduit mieux la prononciation. Si l'on ajoute le fait que le -dd- gallois, ou le -dh- gaélique, sont amuïs depuis très longtemps 21, il ne fait guère de doute que Maeddog et Maeoc (sant Vaeg) désignent une seule et même personne. Quelques « détails » supplémentaires peuvent aider à finir de convaincre. Notamment que son nom « dynastique » est Aedd(an) ab Gildas, ce Gildas étant le grand saint de la lignée de Caw dont nous avons signalé la présence à Plussulien, et donc dans les cantiques chantés à Saint-Mayeux. Gildas veille donc toujours de près sur son fils comme saint Uital(is), depuis Guidel (qui porte son nom : Uidaul en vieux-breton), veille toujours sur son fils saint Gurthiern à Quimperlé (Quimperlé, ancien domaine d'Anaurot, aurait été donnée à Gurthiern par Gradlon Meur en personne).
“ Aeddan, autre fidèle de David, est aussi connu sous le nom de Maeddog, […] il ne fait guère de doute que Maeddog et Maeoc (sant Vaeg) désignent une seule et même personne ”
Enfin, même les contes apportent leur contribution à la toponymie. En effet, l'on peut encore entendre dans le terroir l'histoire du « Pardon ar gwenan » (pardon des abeilles), dans laquelle la statue d'un saint se voit malmenée par un sacristain gourmand; celui-ci subit sans doute la revanche du saint puisque les abeilles des ruches apportées par les pélerins s'en prennent à lui, l'obligeant à fuir. Or, Maeddog est représenté avec une ruche, celle qu'il emporta en Irlande pour aider le monastère qui devait le recevoir à reconstituer son cheptel d'abeilles22. On connaît l'importance du miel et de la cire dans la société celtique (aussi bien gaélique que brittonique), importance qui justifie l'existence de traités juridiques spécifiques 23. Le protagoniste du « pardon ar gwenan » est donc très probablement sant Vaeg.
Nous voici parvenus au terme de notre petite (en)quête identitaire. Nous espérons, au moins, avoir attiré l'attention sur quelques faits qui mériteraient sans doute d'être connus de tous les Bretons. En premier lieu, il est évident que noms de lieux et noms de personnes renvoient très souvent à une époque, jusqu'au X1ème-XIIème siècles, où Bretagne et Pays de Galles ne sont que des éléments du domaine brittonique, lequel s'étend de la région d'Edimbourg (Manaw Gododdin) jusqu'à l'estuaire de la Loire 24. Langue, culture politique et religieuse y sont largement identiques. Se pencher un instant sur l'onomastique bretonne, ne serait-ce que par le biais de quelques cantiques bretons quelque peu oubliés de la pointe orientale de la Cornouaille, c'est nolens volens plonger tête la première dans l'Histoire, celle des migrations bretonnes et des saints fondateurs (Vème-VIIème siècles). Et dans ce cadre le mot de la fin revient assez logiquement à Nora Chadwick : « Il resssort clairement de nos traditions que les « saints » (c'est-à-dire les hommes d'église instruits) étaient les chefs de l'immigration. Ils formaient le noyau dur de la masse des colons. Les noms de lieux et les récits traditionnels le prouvent (…) Il y a plus. Les étroites attaches entre saints et gouvernants princiers donnent à penser que l'immigration fut organisée, politique, plutôt qu'individuelle et laissée au hasard » 25.
(terminé ce 29 mars, fête de sainte Gwladus,
fille du roi Brychan, mère de saint Cadoc)
Notes
1TANGUY Bernard, Dictionnaire des noms de communes, trèves et paroisses des Côtes d'Armor, Douarnenez, Le Chasse-Marée, 1992, p. 300.
2FLEURIOT Léon, et EVANS Claude, A Dictionary of Old Breton , historical and comparative, Toronto, Prepcorp Limited, 1985, p. 505-507.
3 FLEURIOT-EVANS, op.cit, p. 422.
4Consulter sur internet, ouvert par l'Université du Pays de Galles, le site du Geiriadur Prifysgol Cymru, aux entrées : cor, cordd, cosgor, cosgordd, lle, llan, corlan.
5TANGUY Bernard, Dictionnaire des noms de communes, trèves et paroisses du Finistère, Douarnenez, Le Chasse-Marée, 1990, p. 115.
6TANGUY B., Dictionnaire Finistère, op.cit., p. 81.
7DOBLE Gilbert Hunter, Lives of the Welsh Saints, Cardiff, University of Wales Press, 1984, p. 145.
8LOTH Joseph, Chrestomathie bretonne, Paris, E.Bouillon, 1890, p. 149.
9BARTRUM Peter Clement, A Welsh Classical Dictionary, People in History and Legend up to about A.D. 1000, The National Library of Wales, 1993, p. 378.
10« Tair Gwelygordh Saint Ynys Prydain » dit le titre original de la « triade », que l'on trouvera accompagnée d'explications complètes dans l'indispensable ouvrage de BROMWICH Rachel, Trioedd Ynys Prydein, the Triads of the Island of Britain, Cardiff, University of Wales Press, 2014, p. 81. Les deux autres saintes lignées sont les Plant Brychan (les enfants du roi Brychan Brycheiniog) et les Plant Cunedda (les enfants du roi Cunedda Wledig).
11FLEURIOT Léon, Les origines de la Bretagne, Paris, Payot, 1981, p. 279.
12DAVIES John, A History of Wales, Penguin Books, 2007, p. 71.
13BARTRUM Peter, A Welsh Classical Dictionary, op.cit., p. 591-592.
14TANGUY Bernard, Dictionnaire Côtes d'Armor, op.cit., p. 303.
15Voir BARTRUM Peter Clement, Early Welsh Genealogical Tracts, Cardiff, 1966, p. 57.
16TANGUY Bernard, Dictionnaire Côtes d'Armor, op.cit., p. 277.
17A propos de l'expansion irlandaise (en particulier celles des Deisi et des Ui Liathain) vers le Gwynedd au nord du Pays de Galles, le Dyfed au sud-ouest, et le Devon-Cornwall, voir, par exemple O CROININ Dabhai, Early Medieval Ireland, 400-1200, London, Routledge, 2013, p. 18-20 et p. 52-59.
18PLOURIN Jean-Yves et HOLLOCOU Pierre, Toponymie et patrimoine linguistique, Brest, Emgleo Breiz, 204, p. 79.
19BARTRUM Peter, Dictionary, op.cit., p. 194.
20 Si une révision des hypocoristiques en TO- et en MO- s’avère nécessaire, voir : FLEURIOT Léon, Le vieux breton, éléments d’une grammaire, Paris, Klincksieck, 1964, p. 403-405.
21 De la même manière, le -d/-dd final de David/Dewy(dd) a subi l'apocope, qui est de règle historiquement en Dyfed (cf. Bartrum P., Dictionary, op.cit., p. 193). Cette apocope se pratique aussi en Bretagne armorique, et explique les Lotavy signalés plus haut, ainsi que les variantes Dewi/Divi présentes dans d'autres toponymes.
22 BARING-GOULD Sabine, FISHER John, The Lives of the British Saints, London 1907-1913, tome 1, p. 121
23O CROININ Dabhai, Early Medieval Ireland, op.cit., p. 106-107.
24CHARLES-EDWARDS Thomas Mowbray, Wales and the Britons – 350-1064, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 1 : « Wales was merely part of a larger whole, the Lands of the Britons ».
25CHADWICK Nora Kershaw, La colonisation de la Bretagne armorique depuis la Bretagne celtique insulaire, Crozon, Armeline, 1999, p. 72-73. Les éditions Armeline ont eu la bonne idée de mettre cet ouvrage à la portée du public francophone. Il parut en anglais en 1965 sous le titre : The colonization of Brittany from celtic Britain, London, Oxford University Press.