TRAVAUX COMMUNAUTAIRES
La Tradition populaire de danse en Basse-Bretagne par Jean-Michel Guilcher (extrait)1 :
"Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, le travail est une des occasions les plus importantes pour organiser des danses. Tous les travaux agricoles qui exigeaient la participation d'une équipe d'auxiliaires (allant de deux familles s'entraidant régulièrement à plusieurs villages réunis) donnaient lieu à des danses : le battage, le ramassage des pommes de terre et des betteraves, Vambleudadeg ed du (qui consistait, en le piétinant, à enlever de l'akène du sarrazin les restes d'enveloppes florales qui y sont encore attachés), les fileries d'hiver, ou encore la fête de l'« aire neuve » où divertissement et travail sont encore plus intimement liés, puisqu'il s'agit de tasser, en y dansant, le terrain préalablement humidifié qui s'étend devant le maison et où l'on bat les céréales. Les mariages donnaient lieu également à de nombreuses occasions, on pourrait presque dire obligations, de danses. En effet la tradition imposait qu'aient lieu entre la sortie de l'église et le repas des « danses d'honneur », dont le détail variait selon les régions, mais qui étaient soumises à une étiquette stricte. Des danses plus récréatives avaient lieu après le repas, mais pouvaient commencer pendant celui-ci. La « danse des pauvres » se déroulait le lendemain ou le surlendemain des noces. Enfin, foires et pardons constituaient la troisième grande occasion de danse. Les fêtes calendaires n'occupent aucune place notable dans la tradition de la danse bretonne ; il n'existe pas non plus de danses de quête, ni de danses réservées à une classe d'âge ou à une catégorie spéciale d'exécutants, connues ailleurs en France et en Europe.
Naguère encore, dans une partie de la Haute-Cornouaille (terroirs de Maël-Carhaix, Carhaix, Plounevez-Quintin, Gourin, Plelauff), la jeunesse attendait avec impatience les récoltes de pommes de terre et betteraves. Elles duraient tout le mois de septembre, parfois davantage. La population masculine et féminine de plusieurs villages voisins formait une seule grande équipe qui travaillait pour chacun de ses membres à tour de rôle. Deux ou trois fois par semaine on s’accordait une longue veillée de récréation, quelquefois une nuit entière. Des jeunes accourus d’autres villages, ou même d’autres communes, venaient accroître le nombre de veilleurs. Comme toujours la danse et le jeu corporel tenaient la première place. Et tel était le plaisir, que ceux qui aujourd’hui évoquent ces rassemblements ne songent même plus aux interminables journées de fatigue qui en étaient la rançon. Les arrachages d’automne ne sont plus dans leur mémoire que la saison bénie des festoù noz, les fêtes de nuit.
« plus la besogne a été rude, plus est grande la revanche du plaisir. Le maître de maison le sait. Il prévoit le divertissement en même temps que la tâche. »
(J-M Guilcher)
Avant l'apogée de la culture paysanne au milieu du XIXème siecle en Bretagne, on sait que Trioris et Passes-pieds étaient très en vogue au Moyen-Age, « Ce sont les seules danses bretonnes anciennes connues à ce jour »2. La version moderne du Fest-noz n'a été inventée, elle, qu'au milieu des années 1950 dans le but de re-créer ces rassemblements festifs de la société traditionnelle paysanne qui ponctuaient les journées de travaux collectifs. Or cette forme traditionnelle du fest-noz, disparue dans les années 1930, qui associe travail et danse chantée3 dans un environnement spatial spécifique, celui de la cour de ferme était une pratique localisée. L’aire de pratique de cette forme traditionnelle du fest-noz correspond approximativement à la Haute-Cornouaille4. En effet, avant l'intervention du machinisme agricole, il n'était pas d'autre solution que l'entraide entre hameaux et villages, en travaillant successivement chez l'un et l'autre. Cette solidarité marquée est un des traits caractéristiques du monde rural, la danse étant ici l'expression ritualisée d'une solidarité, d'une appartenance à un groupe, de son unité. On parle d'ailleurs de danse communautaire La danse plinn du pays Fañch de part son aspect, révèle bien ce principe de cohésion. L'homogénéité du groupe y est primordiale pour suivre l'évolution de la ronde et réclame à ses participants une tenue irréprochable. On associe d'ailleurs l'étiolement de cette société soudée avec l'arrivé des danses en couple (polkas, valses…) et danses à chaîne ouvertes dans les années 1920 1930. On peut se risquer à dire que la chaîne de danse se désolidarise en même temps que la vie à la campagne. « en France, la mutation récente de la ronde traditionnelle en chaîne ouverte coïncide avec l'ouverture des sociétés paysannes sur un monde extérieur qui ne va pas tarder à leur apporter les modes citadines »5
1Jean-Michel Guilcher, La Tradition populaire de danse en Basse-Bretagne, Paris, La Haye, Mouton and C°, « Études européennes I », 1963, 615 pages.
2Mémoires du Kreiz Breizh n°1, 1er semestre 2001, d'hier à aujourd'hui, danser en Centre-Bertagne, p.3
3 Paraît-il qu'avant d'accepter la corvée, il était coutume par endroits de demander : « qui vient sonner ? »
4 La dimension sociale d’une exception culturelle régionale, le fest-noz en Bretagne, Olivier Goré, Doctorant – RESO – Rennes 2
5Mémoire du Kreiz Breizh op.cit Y. Guilcher, 1994, culture traditionnelle et danse ancienne en France, doctorat, universiité de Bretagne occidentale, Brest
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bel exemple des tâches et instruments agricoles de l'époque, ici dans l'Yonne :
http://lavieavareilles.com/fermedespres/battage/battage.html
http://lavieavareilles.com/fermedespres/battage/battage.html